I'm gonna put my whole world in your hands.

Reid marchait lentement, avançait avec lenteur comme s’il essayait de ralentir l’écoulement du temps ; les secondes s’égrenaient sans qu’il en soit vraiment conscient. Le calme –apparent qui régnait sur le manoir des Quatre Saisons l’avait atteint et plongé dans un lit de sérénité dans lequel il se prélassait allègrement. Cela ne ressemblait pourtant guère au Reid Ainsley de Chicago d’être aussi calme et tranquille ; avant de franchir l’océan Atlantique, il était un jeune homme pressé, toujours au bord de la crise de nerfs qui passait son temps à courir d’un endroit à un autre, surchargé de tâches diverses et imbibé de café. Ici en revanche, l’atmosphère paisible le contraignait à laisser le temps s’écouler, lisant, se promenant, passant des moments en compagnie de sa famille… Les heures au manoir s’écoulaient doucement mais Reid ne s’imaginait pas comment il aurait pu en être autrement ; c’était ce qui faisait la beauté de l’endroit et son charme, ce qui le rendait attirant et faisait que Reid n’avait aucune intention de s’en échapper. Lui qui ne s’intéressait pas vraiment au conflit qui opposait sa famille à celle des Woody avait fini par espérer secrètement que les Woody seraient défaits par sa famille, qu’il aurait l’occasion d’y rester pour toujours tant il s’était attaché à la bâtisse et à son environnement.

Reid tenait à la main un vieux livre qu’il avait trouvé dans la bibliothèque, un livre poussiéreux, abimé et déchiré, dont la couverture ne tenait plus que par magie : « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo. Le livre était en Français et Reid s’essayait à le lire, d’abord parce qu’il ne l’avait jamais lu et ensuite parce qu’il voulait essayer d’améliorer son niveau dans la langue de Molière. Reid ne comprenait pas la moitié de ce qu’il lisait mais essayait tant bien que mal d’arriver au bout de sa lecture ; il regrettait de ne pas s’être attaqué à un livre plus abordable et contemporain mais il ne pouvait se résoudre à s’arrêter de le lire jusqu’à ce que, agacé par sa mauvaise compréhension, Reid ne ferme le livre en le claquant fort et décide de rentrer au manoir.
Ce fut à ce moment-là, alors qu’il approchait des vieilles écuries que Reid, absorbé dans la contemplation des vieilles bâtisses dans lesquelles vivaient les vieux chevaux que personne, pour une raison qu’il ignorait, ne se décidait à abattre, trébucha. Ses pieds se prirent en effet dans des mauvaises herbes et alors qu’il essayait désespérément de se débattre, il finit par chuter en avant. Il ne se fit pas mal mais laissa quand même échapper un juron, fidèle à son emportement légendaire… Il se releva tant bien que mal, épousseta son jean et se pencha en avant pour récupérer quand une sentence éclata dans l’air comme un fouet qui claque. « Dois-je sentir espionnée ? » Reid se redressa rapidement et fixa la jeune femme. Leurs retrouvailles étaient inévitables : ils vivaient au même endroit ; et surtout, elles étaient indispensables s’ils souhaitaient aller de l’avant, ensemble ou seul. Reid ne bougeait plus et laissa échapper, comme dans un soupir : « Earling… »
Reid fit quelques pas en avant et s’approcha d’elle, le plus naturellement possible ; il voulait faire de cette rencontre fortuite quelque chose de banal, de normal, lui montrer qu’il était peut-être adulte maintenant et qu’il savait comment réagir.

Il se rendit bien compte du ridicule de sa question mais continua d’agir comme si de rien n’était, et avança même un peu dans l’écurie, montrant un intérêt poli pour ce qui l’entourait, comme s’il incitait Erling à lui faire visiter la bâtisse alors qu’il ne désirait qu’une chose, rentrer chez lui.